Quand la conscience collective est influente !

Hanaa Khachaba Nevine Ahmed Dimanche 24 Février 2019-12:06:08 Dossier
Quand la conscience collective est influente
Quand la conscience collective est influente

En 2013, la récolte de signatures pour chasser le régime des Frères est allée bon train et a eu son influence positive. Aujourd'hui encore, les initiatives populaires reprennent des couleurs avec les deux les plus éminentes : "Laissez-la rouiller" qui porta un coup dur à la vente des voitures et "Laissez-la à l'usine" pour le boycott des cigarettes. Le point.

 

Quand le changement est imposé du haut de la hiérarchie, il entraînera des effets tangibles. Pourtant, il peut provoquer une protestation sociale, si les foules accueillent mal les mesures adoptées. De nombreuses initiatives officielles sont lancées dans divers secteurs de la vie, dont les plus récentes  sont « Pour une vie digne », et « 100 millions de santé », directement lancées par le chef de l’Etat. Dans ce cas, les effets sont vite ressentis et continueront à se faire ressentir pendant une longue période.

Qu’en est-il des initiatives collectives qui verraient le jour, auraient-elles occasionné des incidences aussi importantes et durables que celles officielles voire présidentielles ? La société égyptienne vous lance le challenge.

Deux initiatives ont été récemment lancées par de nombreux citoyens pour tenter de manifester positivement leurs objections quant à certaines positions et quelques faits qui touchent directement la vie quotidienne.

La première intitulée " Laissez-la rouiller". Les citoyens, soutenus par les blogueurs, ont évoqué cette initiative populaire pour freiner la hausse des prix des voitures. Un thème brûlant.

La santé étant au centre des préoccupations, la deuxième initiative est intitulée "Laissez-la à l'usine", dirigée donc contre l'achat de cigarettes qui- en plus de leurs prix élevés- détruisent la santé.

L'initiative populaire est au cœur de la démocratie directe. Grâce à cet instrument, les citoyens peuvent présenter leurs objections quant à une situation quelconque, via un moyen objectif.

Pour l'Etat, ces initiatives populaires, tant qu'elles sont exprimées de façon objective, ne constituent aucun danger et sont légitimes car elles s'inscrivent dans le cadre de la liberté d'expression.

Les moyens d'objection sont multiples. Les manifestations, les grèves ou le blocage ne sont pas uniquement les seuls moyens efficaces, comme beaucoup pensent, estiment les experts. Il existe d'autres moyens qui sont plus efficaces, car ils touchent de fond le grand public, et trouvent plus d'échos que les voix hautes, renchérissent-ils.

En Egypte, tout comme probablement ailleurs, la force de la conscience collective est indomptable. Elle a la capacité de produire des résultats spectaculaires en faisant tache d’huile.

Il y a plus plusieurs siècles, des gens sont venus voir notre Omar Ibn El Khattab pour se plaindre de la cherté de la viande. Mais au lieu de réglementer une loi à propos du prix qui n’était nullement à la portée des bourses, Omar Ibn El-Khattab ne prit aucune décision et répondit au public : « abaissez-le vous-mêmes ». Le public rétorqua: « C’est nous qui nous nous plaignons de la cherté de la viande chez les bouchers et ce sont nous les demandeurs, et vous nous demandez de baisser son prix ? » Là, Omar Ibn El Khatab ajouta pour explication: « Laissez-la-leur » !

La petite histoire renseigne pour que vive la nation en dehors de toutes spéculations, notamment celles de nos temps au nouvel ordre mondial. De là à voir les concessionnaires profiter des largesses que leur accorde le système, non sans sucer le sang des citoyens, en pratiquant des prix exorbitants, voire excessivement exagérés. Renverser la situation est donc la solution. Au lieu de laisser les vendeurs exercer librement leurs convoitises, ce sont les clients qui mettront la règle.

Quelques siècles plus tard, c'est la même théorie mais soutenue par des moyens technologiques plus avancés.

Sur les réseaux sociaux, la naissance d’une idée fédératrice prend dans ses filets des milliers de partisans en un clic. Une pensée, une attitude, un appel ou une initiative deviennent rapidement viral, s’attirant sur sa route de propagation des adeptes mais aussi des détracteurs. A l’heure du numérique, tout se passe en ligne…

Si le numérique et l’Internet ont conquis une place importante dans notre société, ce n’est pas un hasard : leurs poids est le résultat de leur succès et ils réussissent car elles répondent aux besoins de leurs utilisateurs. Quand ces derniers rêvent de devenir de vrais acteurs sensibles aux maux de leur société et influents sur la scène locale, ils se tournent inéluctablement vers les réseaux sociaux pour opérer les changements qu’ils désirent. C’est là leur place, c’est bien là le meilleur endroit pour influencer et être entendu, applaudi et suivi.

A coup de hashtags, une transformation radicale peut avoir lieu ! De jeunes blogueurs rêvaient de vivre dans un quartier propre et beau. Le rêve s'est réalisé par exemple, en créant le hashtag « Rend-les plus belles », pour désigner les routes de leur voisinage qu’ils allaient balayer et décorer pour booster l’esthétique de la région.  Ces jeunes blogueurs refusaient de se résigner à la vue des nombreuses scènes de laideur envahissant les quartiers égyptiens. A travers leur appel, devenu viral, les routes ont petit à petit retrouvé leur charme, grâce à quelques coups de balai et…de pinceau. Les dessous des ponts se sont transformés en ruches d’abeilles. Les murs moches peints en gris aussi. Les promoteurs de cette initiative ont essaimé leur positivisme. Des équipes de jeunes peintres se sont formées pour d’abord nettoyer les murs avant de les peindre en couleurs vivaces. Les graffitis ont remplacé les laideurs accumulées de mur en mur dans les rues cairotes.

Aujourd’hui, l’humanité entière est soulevée par une force intérieure qui la pousse non seulement à l’amélioration d’une catégorie sociale, mais de toutes les classes de la société. Une amélioration réalisée d’une manière raisonnable, loin de la pensée qu’elle doit nous tomber du sommet de la hiérarchie. Cette amélioration doit être une envie individuelle, avant de passer à une vocation collective. Ceci étant, ce sera l’éveil d’une conscience collective.

Face à la cherté de la vie, les Egyptiens ont une fois de plus eu des comportements surprenants. Sur la Toile, les appels au boycott de certains magasins ou hypermarchés ne restent pas sans suite. Les encouragements pleuvaient de tous les sens, rassemblant de nombreux sympathisants qui ont réagi favorablement en s’empêchant de faire leurs achats dans les endroits haussant de façon hystérique les prix de produits que l’on peut tomber dessus à des prix modérés ailleurs. La pression sociale est souvent efficace. Aussitôt lancée sous le nom « Des citoyens contre la cherté de vie », l’initiative a porté ses fruits. Des milliers de vendeurs ont alors révisé leurs comportements après s’être adonnés à la dérive, rassurés de pouvoir échapper au regard des contrôles.

« Laissez-là rouiller! » a été donc l'initiative dont l'objectif est de demander aux citoyens égyptiens de ne pas acheter les voitures. De plus, les laisser rouiller sur les quais de déchargement. Le site "Africandailyvoice.com" jette la lumière sur cette initiative en Egypte et souligne que cet appel au boycott a vite rencontré la réactivité des internautes. La portée de cette initiative a pu atteindre plus de 650 000 utilisateurs selon la même source.

"Nous visons une baisse de 35% des prix des voitures en Egypte d'ici juin", a déclaré Ahmed Abdel Moez, l'initiateur de ladite initiative. Il ne s'agit pas d'entraver l'économie nationale, comme peuvent penser certains, mais seulement "de pouvoir bénéficier de prix raisonnables et équitables et lutter contre les commerçants avides", explique Ahmed.

Dans certains salons de voitures, des responsables des ventes soulignent "le zéro des ventes" dans les magasins, en janvier !

Début février, la deuxième initiative a été lancée "Laissez-la à l'usine", pour le boycott des cigarettes.  Attendons pour en voir les résultats.

L’efficacité des initiatives populaires n’est pas remise en cause. Quand les foules s’unifient, leur poids lourd devient aussi influent que des initiatives venant des décideurs haut placés. Les réseaux sociaux permettent cet espace de réflexion et de protestation populaires. Aux citoyens, conscients et influents, d’en profiter afin d’avoir la chance de modifier la réalité au gré de leurs besoins et aspirations.

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